Les eurodéputés ont amendé le projet de directive, dont certains craignent qu’il muselle la presse.
Mêmes ingrédients, même réaction. Quelques mois après avoir fait parler de lui à travers un amendement controversé de la loi Macron, le « secret des affaires » revient dans le débat au niveau européen. Les eurodéputés de la Commission des affaires juridiques ont voté ce mardi un compromis sur ce projet de directive lancé en 2013, bien avant que le débat s’enflamme en France. A l’époque, le texte était passé complètement inaperçu quand la Commission européenne l’avait posé sur la table. Mais il a depuis fait naître des inquiétudes similaires à celles exprimées en France, sur de possibles atteintes à la liberté d’information.
A l’origine, il s’agissait de s’attaquer à un problème jugé de plus en plus important par Bruxelles, à savoir l’espionnage industriel. L’exécutif européen estimait en 2013 que cela touchait une entreprise sur quatre en Europe. Le projet de directive visait à aider les entreprises à se protéger, en harmonisant les législations jusque là bien différentes chez les Vingt-huit membres de l’UE. Un souci louable, mais perverti par une définition beaucoup trop large de ce qu’est le « secret des affaires », selon les détracteurs de cette directive.
Plusieurs groupes parlementaires dans l’hémicycle de Strasbourg (les Verts, les socio-démocrates, les libéraux) ont exprimé la crainte que les journalistes soient muselés et que les lanceurs d’alerte soient criminalisés. En France, la journaliste Elise Lucet a lancé une grande pétition contre ce texte.
Levée de boucliers
Cette levée de boucliers a poussé la rapporteur du texte, l’UMP Constance Le Grip, à proposer des amendements au texte. « Des aménagements ont été apportés, qui garantissent et renforcent les droits fondamentaux et la liberté de la presse », assure la parlementaire. Le travail journalistique est plus explicitement mentionné comme une exception au principe du secret d’affaires, et la qualité de lanceurs d’alerte pour des « gens poursuivant l’intérêt général » a été ajoutée. Suffisant pour que la quasi totalité des eurodéputés votent ce texte, exception faite des Verts qui jugent ces avancées « bien trop limitées ».
« En soi le principe de la protection des entreprises n’est pas choquant. Mais ce texte est la porte ouverte à toutes les utilisations détournées, puisque l’opacité sera la règle », juge Pascal Durand. Celui-ci s’inquiète aussi d’un autre point controversé, à savoir l’allongement du délai de prescription pour les salariés passant dans une entreprise du même secteur. Les eurodéputés ont voté que ces derniers pourront être poursuivis dans les 3 ans de leur changement d’entreprise si jamais ils divulguent des secrets d’affaire. Ce vote au Parlement ne signe pas la fin de l’histoire, car les eurodéputés doivent maintenant s’accorder avec les Etats sur un compromis final.