Un sous-traitant du constructeur sur le chantier du campus EDF vient de déposer le bilan, à la suite d’un refus de paiement. Il met en cause la méthode Bouygues pour pressuriser les PME du secteur.
« Il y a un avant et un après Bouygues.» André Colombo, fondateur du groupe Vitruve (assemblage de PME dans le bâtiment et l’énergie, 25 millions d’euros de chiffre d’affaires), regrette amèrement son compagnonnage avec le cador du BTP. « Ils ont toutes les capacités internes pour mener seul un chantier. Si Bouygues a recours à la sous-traitance, c’est uniquement pour spolier les PME comme nous. C’est comme cela qu’il rafle tous les marchés en région parisienne, en étant 30% moins cher. »
L’histoire tient place sur le plateau de Saclay, où EDF a fait construire son nouveau pôle de recherche et de développement, livré fin 2015. En phase finale, comme de coutume, le donneur d’ordres passe en revue les prestations de ses fournisseurs avant de les régler. Pour Vitruve, en charge de la partie climatisation, c’est un marché de cinq millions d’euros. Il n’aurait perçu que 3,8 et sera contraint de déposer le bilan fin mai 2016, car cette PME a dû elle-même régler rubis sur l’ongle ses propres sous-traitants, encore plus petits qu’elle.
Il est rare qu’une PME du secteur ose contester publiquement l’imperium d’un géant du BTP comme Bouygues, cette mère nourricière. Mais André Colombo en a trop soupé, détaillant les méthodes pour ne pas payer ce qui lui serait dû. Les retards, « du grand classique », même si « le temps joue pour les gros ». Puis les pinaillages : « Dix personnes en face qui cherchent la moindre faille pour vous pousser à la faute. » Et enfin le harcèlement : « Quand ils vous envoient une vingtaine de recommandés, on ne peut plus suivre. » Au titre de refus de payer pour motif qu’il estime « unilatéral et fantaisiste », André Colombo cite un exemple : « On nous dit que les radiateurs ne marchent pas. OK, la centrale électrique n’est pas branchée. Mais en fait, c’est un problème de chaudière de la responsabilité de Bouygues. »
Ce qui relève a priori de l’ordinaire du BTP peut avoir de lourdes conséquences, même si Bouygues ne commet là rien de judiciairement répréhensible. « Sur tous les chantiers, chacun défend son bout de gras puis on coupe en deux. Là, Bouygues refuse tout simplement de payer. » Car les affaires sont les affaires, avec leurs méthodes parfois brutales. Mais quand Vitruve saisit le tribunal de commerce pour diligenter une expertise, Bouygues exhibe une clause du contrat soumettant tout litige à un arbitre, désigné sur une liste composée par ses soins. Dans le cas présent, c’est tombé sur un homme, sûrement très compétent et honnête, mais qui a déjà eu à statuer sur de précédents litiges concernant Bouygues. Dans l’affaire de l’arbitrage Tapie, ce type de relation vaut mise en examen. Dans le dossier Vitruve, l’avocat de Bouygues écrit qu’il « n’entend nullement renoncer au bénéfice de cette clause » arbitrale.
Contacté par Libération, Bouygues rétorque que Vitruve « a été défaillant sur ce chantier et a causé un préjudice important », sans donner la moindre précision.