Le rapport du Giec sur le climat incite les Etats à agir très vite pour limiter le réchauffement à 2 degrés. Est-ce suffisant? Quelles sont les raisons d’être optimistes? La survie de l’humanité est-elle en danger? L’éclairage de Hervé Douville, du Centre National de recherche Météorologique. Les experts du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) ont publié dimanche leur rapport sur le climat, dont le message est clair: face à l’ampleur du changement climatique, il faut agir en urgence pour réduire les émissions de CO2 et ainsi rester sous la barre des deux degrés de réchauffement.
Que se passerait-il au-delà? Ce réchauffement est-il irréversible et quelles sont ses conséquences ? L’Express fait le tour de la question avec Hervé Douville, animateur de l’équipe VDR (Variabilité-Détection-Rétroactions) au Centre National de recherche météorologique.
Selon le rapport du Giec, il est encore possible de limiter le réchauffement climatique à deux degrés. Mais c’est une moyenne, n’est-ce pas?
Oui, il s’agit du réchauffement global. Les hautes latitudes de l’hémisphère Nord se réchauffent plus vite que le Sud, et les continents se réchauffent plus et plus vite que les océans. Pour une moyenne de deux degrés supplémentaires à l’échelle de la planète, les régions arctiques, par exemple, pourraient voir leur température augmenter de cinq ou six degrés.
Mettons que l’on parvienne à limiter le réchauffement à moins de deux degrés, y aura-t-il des conséquences malgré tout?
Le problème n’est pas tant la valeur absolue des températures futures que le rythme du réchauffement. S’il est trop rapide, l’adaptation au nouveau climat est difficile. Deux degrés de plus, c’est vrai que ce n’est pas une révolution en France, mais un événement comme la canicule de 2003 pourrait devenir standard d’ici à la fin du siècle. L’une des conséquences inquiétantes, c’est que les épisodes de sécheresse et de précipitations violentes seront plus fréquents. C’est ce que l’on appelle un cycle hydrologique plus contrasté. Au plan de l’agriculture, les régions les plus vulnérables, indépendamment des mesures d’adaptation qui pourraient être mises en place, sont les régions de climat méditerranéen: le pourtour méditerranéen, la Californie, l’Afrique du Sud, le Chili…
Le réchauffement pourrait-il être paradoxalement positif pour certaines régions?
Je ne fais pas partie des gens qui disent que l’on vit actuellement dans un climat optimal. Le phénomène du réchauffement n’a donc pas partout uniquement des effets négatifs. Au Canada ou en Russie, un climat un peu plus chaud et des précipitations plus abondantes ne seront pas forcément catastrophiques. C’est pour cela que, plus on avance dans la compréhension des phénomènes, plus on se rend compte que les négociations vont être compliquées. De plus, ces pays ont justement de grosses réserves de carbone fossile. On voit d’ailleurs que le Canada ne fait pas partie des pays les plus motivés pour agir. Pourtant, ils vont subir des phénomènes assez rapides et majeurs car une partie de leur territoire est constitué de régions polaires. La fonte des glaces implique des enjeux de navigation et d’exploitation des ressources.
Le réchauffement peut-il créer des cercles vertueux ou seulement des cercles vicieux accélérant le phénomène?
Les rétroactions peuvent être positives ou négatives. Qui dit réchauffement dit plus de vapeur d’eau atmosphérique, elle-même étant un gaz à effet de serre naturel; la banquise et la neige diminuent, or ce sont des surfaces réfléchissantes et quand elles disparaissent, la terre se réchauffe davantage en absorbant le rayonnement. Ce sont des exemples de cercles vicieux. La réponse des nuages, elle, est incertaine. On ne sait pas si elle va limiter ou amplifier le réchauffement. Au rang des conséquences positives, le lobby du pétrole explique que le CO2 est fertilisant. Pendant quelques années, l’effet peut effectivement être bénéfique. Mais si les sécheresses augmentent, tout le bénéfice de la fertilisation est perdu. Il suffit de quelques événements météorologiques extrêmes pour tout mettre par terre. Ainsi, certains modèles prévoient une disparition de la forêt amazonienne, ce qui renverrait dans l’atmosphère énormément de CO2.
Qu’en est-il de la fonte du permafrost (ou pergélisol), dont certains prédisent des conséquences catastrophiques?
En termes de scénarios, les modèles ne sont pas encore suffisamment précis. Ce qui est certain, en revanche, c’est que du méthane est piégé dans le sol gelé des hautes latitudes; que la fonte est avérée, ce qui peut expliquer en partie la hausse des débits des fleuves arctiques; et que le méthane est beaucoup plus nocif en termes d’effet de serre que le CO2. Le méthane est donc une réelle préoccupation, de même qu’à plus long terme, les hydrates de méthane piégés dans le fond des océans. C’est pourquoi certains préconisent de concentrer d’abord les efforts sur la réduction des émissions de méthane. L’effet sur le climat serait plus tangible, plus vite. Car il faut bien comprendre que, quelles que soient les décisions qui seront prises, les populations ne verront pas tout de suite les effets de leurs efforts. Hors scénario le plus optimiste du Giec, qui est aussi le moins probable, il n’y aura pas d’effet avant 2030-2040. A court terme, nous allons subir les effets des émissions passées.
L’expérience a-t-elle montré que les actions concertées pouvaient être efficaces, par exemple ce qui a été fait pour les aérosols?
Oui, la réduction des chlorofluorocarbones (CFC) a eu un réel impact sur la couche d’ozone. On estime que le problème de trou dans la couche d’ozone sera réglé avant la fin du siècle. Quand on se mobilise, ça peut marcher. Dans le cas des aérosols, les politiques ont pu avoir des effets rapides parce que ces gaz restaient moins longtemps dans l’atmosphère que les gaz à effet de serre. Malheureusement, les aérosols faisaient aussi écran au réchauffement climatique en diminuant l’absorption des rayons solaires.
Pourquoi le Giec insiste-t-il sur le côté irréversible de l’impact des activités humaines sur le climat? Tout ne pourrait-il pas rentrer dans l’ordre une fois que les énergies fossiles seront consommées?
Ce qu’il faut garder en mémoire, c’est le rythme. On aura utilisé le carbone fossile, qui s’est stocké pendant des millions d’années, en quelques siècles! Si par exemple la forêt amazonienne est détruite, on aura beaucoup de mal à faire marche arrière. Autre exemple: les calottes polaires. Une fois qu’on aura stabilisé les émissions de gaz à effet de serre, on n’aura pas stabilisé les concentrations. A l’étape suivante, on n’aura pas stabilisé les températures, car le système possède beaucoup d’inertie. Les calottes vont continuer à fondre. Donc si on ne fait pas rapidement quelque chose, la calotte groenlandaise est condamnée. Du reste, certains climatologues estiment que le phénomène est déjà enclenché. Cela signifierait une montée des océans de 6 à 7 centimètres.
Concrètement, l’effet du réchauffement sera vécu par nos enfants?
Non, nous le voyons déjà.
Est-ce la survie de l’espèce humaine qui est en jeu ou la qualité de vie sur la planète?
Je ne crois pas que l’on puisse parler de disparition de l’espèce. Mais nous faisons face à un véritable défi pour conserver une planète viable et une vie décente pour tout le monde. Certes, c’est une question d’énergies, mais surtout d’eau et de nourriture, pour 9 milliards de personnes. Déjà, on observe des tensions de plus en plus fortes sur les marchés agricoles. Le moindre grain de sable entraine des variations brutales sur les prix des matières premières. Il va falloir apprendre à hiérarchiser les problèmes et voir l’intérêt global avant les intérêts locaux.
Malgré toutes ces analyses, il reste des climato-sceptiques?
Oui. Notamment à cause des discours catastrophistes de certains, qui ne sont pas productifs. Certaines populations vont souffrir, des îles vont être rayées de la carte, mais l’humanité ne disparaitra pas comme ça. Il y a aussi eu un rebond des climato-sceptiques parce que la température n’a pas augmenté chaque année, ces dernières années. Mais ce n’est pas surprenant de voir de telles irrégularités. Actuellement, on se trouve dans la fourchette très basse des scénarios de réchauffement. Si bien que dans certains modèles, on n’est plus dans la fourchette. Mais cela ne remet pas en cause les conclusions du Giec. La cause se trouve certainement dans le Pacifique tropical, qui ne se réchauffe plus depuis une quinzaine d’années. D’après les prévisions, la reprise du réchauffement devrait correspondre au prochain phénomène El Niño. De plus, malgré la pause dans l’augmentation des températures moyennes en surface, plein de signes montrent que le réchauffement se poursuit. Notamment, le niveau de la mer continue d’augmenter, de même que la température à la surface des océans.
Et à l’échelle de temps géologique, dans quelle phase se trouve la Terre?
Nous sommes dans une période interglaciaire. Ce qui signifie, à très long terme, le retour vers une glaciation. La dernière ère glaciaire remonte à 21 000 ans. Il y avait 6 degrés de moins en moyenne, et des calottes polaires jusque dans le nord de l’Europe. On voit donc l’impact d’une variation de quelques degrés.