Pas de romans de Houellebecq en cette rentrée ? Non. Mais le lauréat du prix Goncourt 2010 sera quand même omniprésent, confirmant qu’il n’est plus seulement un écrivain, mais une star à part entière. Confirmant aussi qu’il a un effet aphrodisiaque sur les médias. Ces deux prochaines semaines, il sera le sujet, le centre, dans : Un essai remarquable de Bernard Maris à paraître la semaine prochaine (« Houellebecq économiste », Flammarion ; lu, aimé, j’y reviendrai)
- Un téléfilm sur Arte, diffusé ce mercredi soir, et inspiré d’une aventure véridique arrivée à l’auteur
- Un film, « Near Death Expérience », nouveau délire de la paire Kervern-Delépine, sur les écrans le 10 septembre (vu, aimé, j’y reviendrai également ici)
Respectons l’ordre de sortie, et arrêtons-nous sur la première prise d’Houellebecq à venir : « L’Enlèvement de Michel Houellebecq », deuxième collaboration entre Guillaume Nicloux et l’écrivain-acteur –après « L’Affaire Gordji » il y a deux ans, également réalisé pour la télévision. Au départ : la rumeur de 2011 Une deuxième équipée qui se base sur un fait avéré. Rappelez-vous cette rumeur de septembre 2011 : l’écrivain ne s’était pas rendu à une tournée promotionnelle aux Pays-Bas et en Belgique, à l’occasion de la traduction flamande de « La Carte et le territoire ». les autorités avaient été prévenues, puis les journalistes mis au jus. En quelques heures, la toile et les réseaux sociaux s’étaient enflammés : enlevé par Al-Qaïda ? Fugué en Patagonie ? Suicidé ? Moi (à l’époque sur Rue89) comme beaucoup y avions été de notre article. Durant quelques heures, le système fut affolé. Et puis, pschitt, c’est retombé. En fait, tout allait bien. C’est de cette disparition et l’inquiétude moutonnière qu’elle engendra qu’est né « L’Enlèvement de Michel Houellebecq ». L’auteur joue son propre rôle, sa propre vie même au début : parlant avec des voisins ou son agent (François Samuelsson qui joue son vrai rôle, dans une scène de discussion vraie entre un agent et son poulain). Avant de se faire kidnapper par un trio de pieds-nickelés à fleurs de peau, et emmené dans un pavillon dont on apprendra qu’il se trouve près de Fontainebleau et qu’il appartient aux parents d’un de ravisseurs. De dîners bien arrosés en tête-à-tête savoureux, se noue entre les Houellebecq et ses ravisseurs une relation truculente. Cependant que les ravisseurs essaient d’obtenir une rançon. Au centre : mi-fiction mi-docu, entre Pialat et Cassavetes Le film, long d’une heure trente-deux, devient alors un huis-clos. D’abord désemparé, Houellebecq pose en photo (preuve de détention) avec à la main la une ironique de Libération. Menotté, il réclame vins, clopes, et bientôt il réclamera le retour dans sa chambre d’une jeune prostituée. Ses ravisseurs, presque trop peu crédibles dans leur maladresse, s’énervent de lui. La situation tourne à l’avantage du séquestré. Car le temps passe. C’est d’ailleurs un des sujets du film, et l’ennui un de ses personnages. Entre l’écrivain et ses ravisseurs s’installe comme un syndrome de Stockholm : les voici qui s’inquiètent de son bien-être, de sa santé. Les dîners durent, et sont l’occasion de scènes qu’on croirait inspirées de Maurice Pialat ou de John Cassavetes : les discussions tournent autour de la Pologne, de la Communauté Européenne (« dont la seule vocation est de rendre impossible toute démocratie »), du milieu littéraire « conservateur avec ses pédophiles hétéros », de free-fight, de création littéraire. Les kidnappeurs, pris dans leur amateurisme, pleurent. Le téléspectateur, lui, rit. Car Houellebecq donne libre court à son nihilisme, à son ironie cynique (« S’il y a bien un mec surfait, c’est Mozart »). « L’Enlèvement de Michel Houellebecq », filmé souvent en plans serrés, dans une réalisation volontairement « télé », parfois bizarrement cadré, est un objet expérimental. Il démarre (trop) lentement, mais devient délirant… Au final : Houellebecq est le Cantona du monde de la culture … pour qui aime Houellebecq. Pour goûter ce film, il faut apprécier les thèmes, le fatalisme, le pessimisme humain et social lu et relu dans les romans de l’auteur -c’est d’ailleurs un reproche qu’on pourra adresser à « Near Death Experience » de Kervern et Delépine. Il faut apprécier l’ironiste. Il faut apprécier le style plat, mais plat comme son époque. Il faut aimer, pas nécessairement adhérer mais aimer, la façon dont Houellebecq écrit ce monde où l’humain n’est qu’une bille dans le jeu ultralibéral, et où vivre signifie accepter ou préparer sa mort. Il faut accepter de rire de nous. Alors, on goûtera l’inconfort et la provocation de ce film, et du jeu d’acteur de l’écrivain. Alors, on aimera cet objet étrange, errant, hypnotique, et au final très profond, réalisé par un Nicloux qui prouve avoir toit compris de l’œuvre houellebecquienne (et de l’homme, sûrement). Le Goncourt 2010 avait auparavant réalisé deux courts-métrages, en plus de l’adaptation de son propre roman (« L’Impossibilité d’une île »). Il avait déjà joué pour Nicloux. Ici, il joue à être lui-même, chose ardue s’il en est pour un artiste maniant plusieurs langages. Le « Michel » de ce film est l’écrivain tel qu’il se voit, tel que les autres le voient, tel que les médias le voient. C’est le vrai Michel et c’est le faux Houellebecq. C’est le pire et le meilleur du même être, ou personnage, ou les deux. Depuis longtemps maintenant, l’écrivain est une star. Depuis 2010 et son prix Goncourt, c’est un buzz permanent. Depuis 2011 et la rumeur, il est une série, une saga. Depuis 2014 et cette absence si omniprésente dans notre rentrée, il est devenu une interface. Houellebecq, c’est un peu le Cantona du monde de la culture, une figure attendue mais qui n’est jamais là où on l’attend. Une hypertrophie de lui-même. Ses (fictifs) ravisseurs s’y sont laissé prendre. Et nous aussi. Avant sa diffusion sur Arte, le film de Guillaume Nicloux avait été projeté à la dernière Berlinale.