Engagement numéro 59 du candidat Hollande en 2012 : « Je soutiendrai la reconnaissance internationale de l’État palestinien. » Cinq ans après cette promesse de campagne, l’État palestinien semble plus que jamais renvoyé aux calendes grecques.
En dépit d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU et d’une conférence internationale pour la paix organisée à Paris, la colonisation israélienne grignote ce qu’il reste de la Palestine. Donald Trump rompt avec la solution à deux États et Benjamin Netanyahu annonce même la création d’une nouvelle colonie, pour la première fois en plus de vingt ans. De passage à Paris où il a rencontré son homologue français Jean-Marc Ayrault, Riyad Al-Malki, ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, explique pourquoi la France n’a malgré tout pas démérité et fait part de son optimisme quant à l’avenir de son pays. Entretien exclusif.
154 parlementaires français ont réclamé à François Hollande de reconnaître unilatéralement l’État de Palestine pour relancer le processus de paix au point mort. Misez-vous sur un geste de dernière minute du président français ?
Riyad Al-Malki : Nous croyons aux miracles, mais pas nécessairement aujourd’hui, en France, à cet instant particulier. Oui, on nous a promis par le passé que la France reconnaîtrait l’État de Palestine si Israël faisait échouer la conférence de paix de Paris. Or, ils l’ont fait, en boycottant l’événement. Maintenant, nous ne souhaitons pas faire pression sur la France, un pays ami. Nous apprécions que beaucoup en France soient favorables à cette reconnaissance. Les deux chambres, le Sénat et l’Assemblée, ainsi qu’un certain nombre de diplomates ont recommandé au gouvernement français de reconnaître la Palestine. Nous savons que la majorité des dirigeants français et du peuple y est favorable. Toutefois, nous réalisons que nous nous trouvons dans la dernière semaine avant l’élection présidentielle, et il arrive souvent que les gouvernements s’abstiennent de prendre des décisions importantes à ce moment précis.
N’est-ce pourtant pas ce qu’a fait Obama en ne s’opposant pas à la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant la colonisation israélienne ?
Il s’agissait d’une résolution onusienne, pas de la reconnaissance de l’État palestinien, ce qui est différent. Nous avons évoqué cette question avec mon ami M. Ayrault. Bien sûr, il désire [reconnaître l’État palestinien, NDLR], mais en tant que responsable politique, il cherche le meilleur moyen de le faire. Toute décision de cette nature devrait renforcer, et non affaiblir, la position française, en France mais également en Europe. Ainsi, nous continuerons à pousser pour cette reconnaissance. Nous allons attendre la fin des élections, puis nous verrons comment continuer à œuvrer afin que le gouvernement français prenne cette décision.
Les candidats à la présidentielle française semblent divisés sur la question palestinienne. Tandis que Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon souhaitent reconnaître unilatéralement l’État palestinien, Emmanuel Macron estime que cette reconnaissance doit avoir lieu à l’issue de négociations avec Israël. Les avez-vous approchés ?
Oui, nous possédons une ambassade [mission diplomatique, NDLR] à Paris qui suit très étroitement toutes ces déclarations, et maintient le contact avec les candidats. La dernière fois que mon président [Mahmoud Abbas] était à Paris, il a rencontré le candidat Emmanuel Macron avec lequel il a évoqué cette question. Nous avons également reçu une lettre de François Fillon dans laquelle il a exposé le type de relations qu’il souhaitait mettre en place en cas de victoire. Beaucoup d’autres candidats se sont également manifestés. Une fois le nouveau président élu, nous verrons comment faire en sorte que la question palestinienne reste toujours dans son esprit, afin de refléter le besoin de reconnaissance de la Palestine exprimée par de nombreux cercles en France. Nous verrons comment les choses évolueront.
Êtes-vous franchement déçu par le quinquennat de François Hollande ?
Je n’ai pas vraiment vu de différence quant à la position de la diplomatie française sur la question palestinienne, entre le gouvernement actuel et ses prédécesseurs. Je peux même dire qu’il existe une forme de constance dans la politique française vis-à-vis de la Palestine, qui dépasse les clivages politiques. Et cela est très important. Nous avons entretenu d’excellentes relations de travail avec le président Hollande, tout comme avec le président Sarkozy, et tous les présidents auparavant. La France nous a toujours accueillis pour discuter et écouter nos griefs, et réfléchir à ce qui pouvait être fait. La relation a été bonne au cours des dernières années du président François Hollande. Nous avons établi un comité intergouvernemental qui s’est réuni à Paris il y a deux ans, et qui doit se réunir à nouveau, on l’espère en septembre ou en octobre.
Mais la diplomatie française n’a-t-elle pas fait volte-face en renonçant à reconnaître l’État de Palestine sous deux ans, comme s’y était engagé Laurent Fabius en 2014 ?
Il s’agissait d’une promesse de Laurent Fabius. Or, il n’est plus ministre des Affaires étrangères aujourd’hui. Peut-être la situation serait-elle différente aujourd’hui s’il était toujours en poste. Vous savez, chaque personne arrive aux affaires avec sa propre philosophie et ses différentes approches systémiques qu’il faut gérer. Maintenant, bien sûr que nous nous souvenons que, lorsque nous avons rencontré le candidat Hollande à la présidence, son programme politique ainsi que celui du Parti socialiste annonçaient qu’il reconnaîtrait l’État de Palestine. Or, quand il a été élu, il a reconnu avoir des difficultés à le faire seul, sans obtenir le soutien des Européens. Pour autant, cela n’a pas rompu nos canaux de communications avec lui. Au contraire, car en fin de compte, nous avons compris qu’il restait des obstacles évidents pour y parvenir. Le ministre des Affaires étrangères actuel, Jean-Marc Ayrault, est convaincu que la France doit reconnaître l’État de Palestine, mais il cherche le bon moment et les bonnes modalités pour le faire. C’est dommage que cela ne soit pas arrivé au cours des dernières années, et qu’il faille attendre qu’un nouveau président soit élu, mais c’est la vie.
Estimez-vous que la voix de la France pèse toujours autant aujourd’hui au Moyen-Orient ?
Il est vrai que le conflit israélo-palestinien reste en quelque sorte une exclusivité américaine, pas seulement parce que les États-Unis le souhaitent, mais parce qu’Israël le souhaite. Depuis que nous avons entamé le processus de négociations [en 1993, à Oslo, NDLR], Israël a tout fait pour éviter que l’Union européenne ait un rôle dans le processus de paix, car il n’a pas vraiment confiance en elle. Mais cela ne sape en aucun cas le rôle de la France. Par exemple, l’échec de l’ancien secrétaire d’État américain John Kerry [dans sa tentative de médiation israélo-palestinienne en 2014, NDLR] a laissé un vide dont s’est saisie la France pour son initiative.
Avec un résultat mitigé…
Cette initiative française a prouvé que la France pouvait prendre le leadership en organisant une conférence de paix internationale, malgré l’opposition de Netanyahu. De mon point de vue, elle a été un succès. Plus de soixante-dix pays y ont participé au niveau ministériel, dont John Kerry, ce qui est très important. Son communiqué final a clairement manifesté son soutien à la solution à deux États, qui était la pierre angulaire de cette conférence. Cette initiative était donc importante et a rappelé que la France peut jouer un rôle quand elle le souhaite. Son seul problème, comme celui de beaucoup d’autres pays, est qu’Israël ne veut permettre à aucun pays de jouer un rôle. À une exception près, les États-Unis.
À quoi bon cette initiative quand, depuis cette conférence et l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche, la colonisation israélienne en territoire palestinien s’est accélérée ?
Cette conférence a signifié que le monde était d’accord avec la solution à deux États, à l’exception d’Israël, c’est-à-dire ce gouvernement d’extrême droite, qui tend d’après moi vers le fascisme. Ce que fait Israël en construisant des colonies, c’est anéantir cette solution, d’autant qu’elle positionne toutes ses constructions de sorte à empêcher l’avènement d’un État de Palestine avec un territoire contigu. C’est à l’aune de cette stratégie que l’on comprend la politique israélienne. Le monde voit très bien les intentions de ses dirigeants, et aucun chef d’État – que ce soit Obama, Merkel ou Hollande – n’est satisfait de cela.
Mais qu’ont-ils fait pour l’empêcher ?
Le fait est qu’ils ne peuvent imposer aucune sanction contre Israël, en raison de la sensibilité de leur relation avec l’État hébreu, notamment au regard de ce qui s’est produit durant la Seconde Guerre mondiale. Et Israël l’exploite très bien à son avantage. Mais si Israël croit agir intelligemment en anéantissant la solution à deux États et en empêchant l’existence d’un État palestinien viable et contigu sur les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale, il crée, en fin de compte, une nouvelle réalité qu’il devra tôt ou tard reconnaître. De six à sept millions de Palestiniens arabes vivent aujourd’hui sur ce territoire s’étendant de la rivière du Jourdain à la mer Méditerranée. De six à sept millions de Juifs israéliens en font autant. Appelez ce territoire la Palestine historique, Israël, ou ce que vous voulez, si Israël ne laisse pas les Palestiniens avoir leur propre État vivant pacifiquement à ses côtés, il va se retrouver à diriger ces six à sept millions de Palestiniens. C’est la solution à un État, avec deux systèmes : un pour les Juifs israéliens, l’autre pour les Arabes, autrement dit l’apartheid. Or, je ne pense pas qu’Israël survivra plus de deux ou trois ans ainsi, car le monde n’acceptera jamais qu’un autre apartheid émerge.
En tant que démocratie, que devrait faire Israël ?
Si Israël veut agir démocratiquement en accordant le droit de vote à tous les Palestiniens vivant dans cet espace géographique, cela nous convient. Toutefois, cela signifie qu’au cours des prochaines années, nous deviendrons démographiquement majoritaires et pourrons nous emparer du poste de Premier ministre. Israël a le choix : la solution à deux États, ou celle à un État. En revanche, le statu quo ne peut perdurer. Nous sommes toujours sous occupation et privés de nos droits. Un jour viendra où le monde entier interviendra et dira « ça suffit ». Nous comptons fermement là-dessus.
Le président Abbas doit prochainement rencontrer Donald Trump à Washington. Comment expliquer qu’il soit si optimiste quand le président américain ne semble plus soutenir la solution à deux États ?
Laissons au président Abbas la chance de convaincre le président Trump. Il possède une rhétorique puissante et citera des faits réels. Le président américain pourrait être sensible à ces détails. Il ne faut donc pas dresser de conclusions hâtives. Pour ma part, je suis optimiste quant à la possibilité que cette rencontre soit historique dans le sens où elle permettra au président Trump de réaliser quel est le meilleur moyen de bouger [sur le processus de paix, NDLR]. Vous savez, le président américain possède un sacré atout : Netanyahu ne peut rien lui refuser. Il ne peut plus mobiliser le Congrès, ou l’Aipac [lobby pro-israélien, NDLR] comme il a pu le faire sous Obama. Si Trump l’exhorte à arrêter la colonisation, et de conclure un accord, il sera alors dans une situation difficile.