Trois ans après les révélations de Mediapart, l’ancien ministre du Budget de François Hollande est jugé pour avoir dissimulé un compte à l’étranger.
Le procès de Jérôme Cahuzac s’est ouvert ce lundi 8 février devant le tribunal correctionnel de Paris. L’ancien ministre du Budget comparaît pour fraude fiscale et blanchiment. Néanmoins, la défense entend soulever deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui risquent d’entraîner un report du procès de l’ex-ministre pour son compte caché à l’étranger, prévu jusqu’au 18 février. l’avocat de Patricia Cahuzac, qui comparaît aux côtés de son ex-époux, compte en déposer deux aussi sur le même thème. L’audience de ce lundi doit être consacrée à l’examen de ces deux QPC et la décision est attendue mercredi.
Il est entré dans la salle sans dire un mot, selon un journaliste de France TV Info qui “live-tweete” le procès. Son ex-épouse Patricia Cahuzac-Ménard est également présente. “Je suis retraité actuellement” a déclaré l’ancien ministre.
Selon le journaliste de France TV Info, le procureur national financier, ÉLiane Houlette, n’apprécie guère toutes ces QPC. Elle trouve dommage “qu’elle soit posée le premier jour du procès, alors qu’elle aurait peu l’être pendant l’information judiciaire”.
Si le tribunal juge les deux QPC pertinentes, l’une sur l’ISF et l’autre sur l’impôt sur le revenu, il les transmettra à la Cour de cassation qui, à son tour, décidera de la pertinence de leur éventuel examen par le Conseil constitutionnel. “Si c’est le cas, l’affaire Cahuzac ne pourra être jugée.
“dans le meilleur des cas, avant septembre 2016, presque deux années après la clôture de l’instruction”, regrettait la procureur auprès de l’AFP il y a déjà quelques jours de cela. Un cas de figure identique s’est présenté début janvier à l’ouverture du procès du marchand d’art Guy , prévu pour trois semaines et finalement suspendu pour plusieurs mois en raison de la transmission à la Cour de cassation d’une QPC déposée par la défense.
L’avocat de Jérôme Cahuzac a de son côté démenti toute volonté de retarder le procès.
Entrée en vigueur le 1er mars 2010, la QPC permet à toute personne, partie prenante à un procès, de contester une disposition législative au motif qu’elle porterait atteinte aux droits et aux libertés garantis par la Constitution. La conséquence immédiate d’une censure constitutionnelle est l’annulation du procès. C’est ce qui s’est passé dans le dossier des “délits d’initiés” du groupe aéronautique EADS pour lequel le Conseil constitutionnel a confirmé le principe du “non bis in idem”, selon lequel une personne ne peut être jugée deux fois pour les mêmes faits. Or les prévenus avaient été innocentés par l’autorité des marchés financiers (AMF) avant d’être renvoyés en correctionnelle.
C’est sur le même fondement que les avocats de Wildenstein et Cahuzac, tous deux poursuivis ou sanctionnés par l’administration fiscale, tentent aujourd’hui d’obtenir des Sages un élargissement de la jurisprudence EADS et l’annulation de leur procès.
– Les “faucheurs de chaises” s’invitent au procès –
Alors que s’ouvrait le procès de l’ancien ministre, quelque 150 personnes des associations Attac, Les Amis de la Terre, Action non Violente-COP21 et Bizi! ont tenté d’aller déposer près de 200 chaises “réquisitionnées” dans des banques pour dénoncer symboliquement l’évasion fiscale devant le Palais de justice de Paris.
“Ne pas uniquement faire le procès de Jérôme Cahuzac mais celui de l’évasion fiscale en général”, c’est le message qu’ont voulu faire passer ces “faucheurs de chaises”. “On nous dit que l’affaire Cahuzac a été un électrochoc, mais seules des mesurettes ont été prises depuis”, a déclaré Thomas Coutrot, porte-parole d’Attac France. “Or, les banques françaises sont massivement implantées dans les paradis fiscaux”, a-t-il dénoncé.
– La “République exemplaire” mise à mal –
L’affaire Cahuzac avait ébranlé le début du quinquennat de François Hollande. “Je veux une République exemplaire et une France qui fasse entendre sa voix”, avait-il écrit dans ses quarante propositions de campagne en 2012. Une mission qu’il confiait, une fois élu président, à Jérôme Cahuzac, nommé ministre du Budget.
Et pourtant, il n’aura fallu que quelques mois pour que cet ancien président de la commission des finances de l’Assemblée nationale ne se retrouve dans la tourmente : le 4 décembre 2012, Mediapart l’accuse d’avoir possédé jusqu’en 2010 un compte caché en Suisse avant de le transférer à Singapour.
– “Une faute impardonnable” –
En janvier 2013, la justice ouvre une enquête. Jérôme Cahuzac nie tout en bloc. “Je n’ai jamais eu de compte en Suisse” assure-t-il à l’Assemblée, “les yeux dans les yeux, je n’ai jamais eu et n’ai pas de compte en Suisse” répète-t-il au journaliste Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV et RMC. Même jusque dans le bureau de François Hollande. Face à ces formules restées célèbres, Mediapart insiste. Le site d’actualités publie un enregistrement du ministre demandant à son conseiller comment fermer un compte en Suisse sans s’y rendre.
Le 19 mars, la justice ouvre une information judiciaire et le ministre quitte Bercy tout en réaffirmant son innocence, soutenu par une grande partie de la classe politique. Mais quinze jours plus tard, le 2 avril il craque et reconnaît publiquement détenir 683.076 euros sur un compte à l’étranger, avouant également avoir menti au chef de l’État.
François Hollande et le Premier ministre de l’époque Jean-Marc Ayrault le condamnent publiquement. “C’est une faute impardonnable” déclare le président de la République lors d’une déclaration officielle.
Depuis, les juges d’instruction Roger Le Loire et Renaud van Ruymbeke ont démonté les mécanismes d’une fraude fiscale “obstinée”, “sophistiquée” et “familiale”. L’argent provenait de la clinique spécialisée dans les implants capillaires, tenue par Jérôme Cahuzac, chirurgien de formation, et sa femme Patricia Ménard, mais aussi les revenus tirés des activités de conseil de Jérôme Cahuzac auprès de laboratoires pharmaceutiques.