La Pologne a reproché jeudi au gazier russe Gazprom d’avoir réduit de près de moitié ses livraisons de gaz, une mesure qui semble traduire la volonté de Moscou d’empêcher l’approvisionnement de l’Ukraine en “flux inversé” et de lancer un avertissement à l’UE.
Le géant russe a aussitôt déclaré que cette annonce était “incorrecte”, car “les exportations vers la Pologne restaient sans aucun changement, exactement aux mêmes volumes que les jours précédents, à 23 millions de mètres cubes par jour”.
Autrement dit, c’est par rapport à des commandes accrues de Varsovie qu’une baisse abrupte serait apparue, selon Gazprom.
Cette tension apparaît alors que l’UE doit mettre en oeuvre vendredi des sanctions économiques contre la Russie, visant le secteur de l’énergie et notamment la branche pétrolière de Gazprom, selon une source européenne.
Parallèlement, la Commission européenne a invité les ministres russe et ukrainien de l’Energie à une nouvelle discussion sur les livraisons de gaz russe à l’Ukraine le 20 septembre à Berlin. Toutefois, Moscou n’a pas encore donné son accord, indiquant que le lieu et la date de la rencontre étaient en discussion.
La réduction des livraisons de 45% mercredi par rapport aux volumes commandés a été annoncée par le gazier polonais PGNiG, après une baisse de 20% lundi et 24% mardi.
La Pologne fournit “en flux inversé” du gaz à l’Ukraine, qui en est privée depuis la mi-juin, alors qu’elle-même en achète à la Russie, un procédé très mal vu à Moscou.
Formellement, Gazprom invoque un important endettement de son client ukrainien, mais la question s’inscrit dans le conflit armé entre Kiev et les séparatistes ukrainiens soutenus par la Russie.
Pour compenser la baisse des livraisons via le Bélarus et l’Ukraine, la Pologne a acheté du gaz en Allemagne et en République tchèque.
“Il n’y pas de risque pour le client polonais”, a affirmé une porte-parole du gazier polonais, Mme Dorota Gajewska.
Mais la Pologne a dû dès mercredi suspendre les livraisons de gaz à l’Ukraine “en flux inversé”.
– Froid dans le dos –
Gazprom a réduit également, de 10%, ses livraisons à la Slovaquie, un autre pays qui fournit du gaz à l’Ukraine. Le principal client de Gazprom en Allemagne, EON, a fait état de “légères restrictions” de son approvisionnement, “sans incidence” pour ses clients. EON n’envoie pas de gaz à l’Ukraine, contrairement à un autre groupe allemand, RWE.
En juin, Gazprom avait menacé de réduire ses livraisons aux compagnies européennes qui fournissent du gaz à l’Ukraine.
“Moscou veut donner froid dans le dos à l’Union européenne avant l’hiver”, a dit à l’AFP Krzysztof Bobinski, un analyste politique polonais. “Les Russes sont en train de dire +Il fait encore chaud, l’hiver n’est pas encore là, mais rappelez-vous que nous, nous disposons de cette arme+”.
Cet avertissement arrive alors que les 28 Etats membres de l’UE ont trouvé jeudi un accord pour durcir leurs sanctions économiques contre la Russie.
Selon M. Bobinski, la baisse des livraisons est également un signal fort envoyé à la nouvelle Commission européenne et au Conseil européen qui sera présidé par le Premier ministre polonais sortant Donald Tusk, partisan d’une “Union de l’énergie”, destinée à prémunir l’UE de toute dépendance en la matière, notamment vis-à-vis de la Russie.
Un analyste de la banque russe Sberbank CIB, Valery Nesterov, est du même avis. “Tout cela est politique. Gazprom a prévenu que si des pays européens commencent à réexporter du gaz vers l’Ukraine, il réduira les livraisons pour qu’ils n’en aient pas assez pour le faire”, a-t-il dit à l’AFP.
“La Commission européenne pense que c’est (la position de Gazprom) illégal, Gazprom considère que c’est juste”, a ajouté M. Nesterov. “Le tour de la Hongrie et de la Slovaquie pourrait venir bientôt”.
La Slovaquie a d’ailleurs évoqué jeudi une baisse d’environ 10% des livraisons de Gazprom.