Les dirigeants de l’UE se retrouvent jeudi à Bruxelles pour finaliser un accord crucial avec la Turquie, censé mettre un coup d’arrêt à l’afflux massif de migrants en Grèce, mais qui se heurte à l’hostilité de certains Etats membres.
Ce nouveau sommet, sur deux jours, n’abordera la brûlante crise migratoire que jeudi soir, lors d’un dîner qui s’annonce tendu entre des chefs d’Etat et de gouvernement divisés. Les Européens recevront ensuite vendredi le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu.
Depuis le début l’année, plus de 143.000 personnes sont arrivées en Grèce via la Turquie, portant à plus d’un million les entrées en Grèce par terre et mer depuis janvier 2015, fuyant pour la plupart la Syrie en guerre, l’Irak et l’Afghanistan, selon le HCR.
Cet afflux, combiné avec la fermeture de la “Route des Balkans”, place la Grèce, et les milliers de migrants qui y sont bloqués, dans une situation intenable. Et accentue la pression pour que les Européens s’entendent avec la Turquie.
Pour la chancelière allemande Angela Merkel, qui a joué un rôle majeur dans les tractations avec Ankara, un accord donnerait une “première chance” de trouver une solution collective. Il ne se traduira pas par un chèque en blanc à Ankara, a-t-elle promis.
“Je suis prudemment optimiste, mais pour parler franchement, je suis plus prudent qu’optimiste”, a résumé jeudi matin le président du Conseil européen Donald Tusk, chargé par les 28 de négocier avec Ankara, malgré les courts-circuitages de Berlin.
Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, s’est aussi dit “assez optimiste”. Avant le début du sommet, il a salué le désengagement militaire russe en Syrie, estimant que cela pourrait “réduire le nombre de réfugiés” cherchant à rejoindre l’UE, même “s’il est encore trop tôt pour le dire”.
– Liste de problèmes –
Les Européens ont été surpris de l’ampleur de la nouvelle “proposition turque” présentée lors du précédent sommet du 7 mars: Ankara se dit désormais disposé à reprendre tous les nouveaux migrants gagnant les îles grecques depuis la côte anatolienne, y compris les demandeurs d’asile.
L’idée a de quoi séduire une Union débordée, mais le contenu du projet d’accord pose de nombreux problèmes, comme celui de donner à la Turquie la clé de la frontière extérieure de l’Union, selon ses détracteurs.
“La liste des problèmes à résoudre avant que nous puissions conclure un accord est longue”, a admis Donald Tusk, fixant comme “priorité absolue de s’assurer que nos décisions respectent le droit européen et international”.
Au milieu d’un concert de critiques, notamment du renvoi prévu de tous les migrants vers la Turquie, l’ONU a mis en garde contre l’illégalité des “possibles expulsions collectives et arbitraires”.
La Commission européenne a assuré que tout accord respecterait le droit, promettant que chaque demandeur d’asile se verrait garantir un traitement individuel de sa requête et des moyens de recours contre un renvoi vers la Turquie.
Aux termes du projet d’accord, les Européens s’engageraient, pour chaque Syrien renvoyé, à “réinstaller” dans l’UE un autre Syrien depuis la Turquie.
– Veto chypriote ?-
En contrepartie de ses efforts, la Turquie obtiendrait gain de cause sur sa demande d’une nouvelle aide substantielle de l’UE, alors qu’elle a déjà reçu la promesse de trois milliards d’euros pour améliorer les conditions de vie sur son sol des 2,7 millions de réfugiés syriens qu’elle accueille.
L’UE “se tient prête à décider un financement (…
pouvant atteindre 3 milliards d’euros supplémentaires avant la fin 2018″, selon le projet d’accord encore en cours de discussions.
Ankara arracherait également une accélération du processus de libéralisation des visas pour ses ressortissants, ainsi qu’une relance de ses négociations d’adhésion, bloquées par le contentieux historique avec Chypre.
“Je ne me sens pas rançonné par la Turquie”, a assuré le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, au journal allemand Handelsblatt, rappelant que les Européens avaient été les premiers à demander une coopération accrue avec Ankara pour stopper les flux.
“La Turquie n’est pas mûre pour une adhésion. Et je crois que ce ne sera pas encore le cas dans dix ans”, a-t-il ajouté pour rassurer certains Etats membres, et notamment Chypre, dont le veto menace l’accord.
Alors que certains pays de l’UE renâclent à s’entendre avec un pouvoir islamo-conservateur accusé de dérive autoritaire, le président Recep Tayyip Erdogan a encore réclamé mercredi la levée de l’immunité de parlementaires pro-kurdes.
Et le magazine allemand Der Spiegel a dénoncé jeudi une atteinte “à la liberté de la presse” après que son correspondant en Turquie a été contraint de quitter le pays, son accréditation n’ayant pas été renouvelée par les autorités.