Un «centre de commandement» de l’Etat islamique en Syrie, avant et après un bombardement d’un avion de chasse furtif F-22 fighter américain le 23 septembre. (Photos US Air Force. )
Peu de journalistes, mais beaucoup d’images, soigneusement choisies. La nouvelle guerre d’Irak et de Syrie est certainement un modèle pour les communicants du Pentagone: très peu de journalistes sont sur le terrain, qui est beaucoup trop dangereux pour les Occidentaux, mais les caméras de l’armée et Internet n’en permettent pas moins de diffuser, directement au grand public, des images qui peuvent donner l’illusion d’une transparence parfaite.
Depuis le début de ses bombardements en Irak, le Commandement central de l’armée américaine a mis en ligne sur YouTube une vingtaine de ces vidéos, qui permettent de vivre pratiquement «en direct», depuis le cockpit des avions de chasse, les frappes contre les forces de «l’Etat islamique». Les toutes dernières montrent déjà quelques exemples des bombardements en Syrie, qui ont commencé ce lundi. Sur celle-ci et celle-ci, datées du 24 septembre, on peut distinguer deux sites, présentés comme des raffineries, pulvérisées en quelques secondes. Sur cette autre, située à Tall al Qitar le 23 septembre, on voit un bâtiment de trois étages frappé par des tirs presque symétriques qui le réduisent en gruyère.
Ces vidéos montrent une guerre pratiquement sans humains: pas de sang ni de victimes n’apparaissent dans ces mini-séquences parfaitement cadrées. A peine peut-on soupçonner une présence humaine, et son anéantissement, dans celle-ci, qui accompagne la course d’un pick-up sur une route désertique du nord de l’Irak pendant plus d’une minute, jusqu’au moment où il est touché et transformé en boule de feu.
Ces vidéos sont devenues «familières» des campagnes militaires américaines et ne suscitent plus guère de débat aux Etats-Unis, explique Scott Althaus, professeur à l’université de l’Illinois. «Des vidéos similaires avaient déjà été mises en ligne par le Commandement central américain lors de l’invasion de l’Afghanistan en 2001, rappelle ce spécialiste des médias et de la communication en temps de guerre. Lors de la guerre du Golfe en 1991, cette pratique de l’armée américaine consistant à publier des vidéos de bombes de précision et de frappes de missiles avait été largement critiquée. Ses détracteurs dénonçaient l’impression déformée, de précision extrême des attaques, que donnent ces vidéos, alors même que la plupart des munitions aériennes utilisées pendant cette guerre du Golfe étaient des bombes et missiles conventionnels.»
Cette sélection des images de guerre est même plus ancienne encore, rappelle Scott Althaus, suggérant la comparaison avec deux autres petits films de propagande américains réalisés durant la Seconde guerre mondiale. Sur le premier, au montage un peu plus élaboré et même mis en musique, on admire les «libérateurs» américains en 1943 jetant leurs gros suppositoires, d’un blanc virginal, sur le Japon.
Sur cet autre, on assiste au décollage d’une escadrille américaine durant l’opération Hailstone, en février 1944, qui part à l’assaut de la base japonaise de Truk, soumise à un déluge de feu. Le film s’achève par le retour des coucous et la réception des blessés, qu’on entrevoit à peine, seulement pour suggérer qu’ils sont bien pris en charge.
Les vidéos d’Irak et de Syrie postées par le Centcom ne suscitent sur YouTube que peu de commentaires, généralement enthousiastes. «On dirait que ce site pourrait encore se prendre 1000 kilos de liberté! Vraiment. Réduisez tous ces bâtards en miettes!» dit l’un, sous la vidéo du site de Tall Al Qitar, qui n’apparaît pas entièrement détruit après le passage américain. «Magnifique», «Joli», «Quelle beauté!» disent d’autres sous celle-ci, qui montre un autre véhicule pulvérisé le 26 août en Irak. Un seul internaute interroge: «Pourquoi ce camion est-il détruit?»