En maintenant la déchéance de nationalité dans sa réforme constitutionnelle, au terme d’une séquence confuse au sommet de l’Etat, François Hollande jette les bases d’une majorité au Congrès pour adopter la réforme constitutionnelle avec l’appui probable de la droite, quitte à s’aliéner son aile gauche.
Le président de la République a mis fin au suspense mercredi en Conseil des ministres en annonçant le maintien de cette disposition alors qu’elle était déjà enterrée par certains dans la majorité et au sein même du gouvernement.
La garde des Sceaux Christiane Taubira en personne avait ainsi annoncé que l’exécutif “ne retenait” finalement pas cette mesure, dans une interview diffusée mardi sur une radio algérienne, avant que son entourage ne rectifie ses propos. Dans un autre grand ministère, la même information a circulé, à tel point que mercredi plusieurs quotidiens titraient sur une reculade de l’exécutif.
A l’Elysée, un conseiller mettait mercredi cette confusion sur le compte de responsables politiques qui ont “privilégié leurs convictions personnelles” et “d’une mécanique médiatique qui s’est emballée dans les derniers jours”.
“Le chef de l’Etat avait le souci de rester dans la solennité en réservant la primeur de cette annonce au Conseil des ministres”, expliquait-il. Manuel Valls a pour sa part salué “la cohérence et la hauteur de vue” du président.
En gardant le silence “il a endormi tout le monde”, résumait tout autrement un visiteur habituel du palais présidentiel.
Dix jours après l’effondrement de la gauche radicale et des écologistes aux régionales, M. Hollande semble parier sur le soutien de l’opposition pour faire adopter sa réforme à Versailles.
– ‘Difficile de ne pas voter cette révision constitutionnelle’ –
Mathématiquement, le rapport de forces au Congrès ne peut que l’y encourager. Les Républicains et l’UDI représentent 415 parlementaires sur un total de 925. Sans eux, impossible d’atteindre la majorité des 3/5e des suffrages exprimés nécessaire pour modifier la Constitution (555 voix, si tous les votes sont exprimés). En revanche, avec le renfort de la droite, sa réforme passerait même si l’ensemble des écologistes, des communistes et apparentés et de près de 80 socialistes sur 397 votaient contre, ce qui paraît peu probable.
De surcroît, avant Versailles, le texte doit être approuvé séparément par les deux chambres, dont le Sénat à majorité de droite. “Moi j’ai confiance, dans la responsabilité de la majorité comme de l’opposition”, a d’ailleurs glissé le chef du gouvernement mercredi.
Politiquement, François Hollande met une nouvelle fois en difficulté Les Républicains, après des régionales au goût amer.
Les ténors du parti d’opposition, bien que favorables en grande majorité à l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution et à son extension aux binationaux nés français, sont pour l’heure restés très discrets sur leurs intentions de vote, préférant appeler à la démission de Christiane Taubira.
Seul le député Eric Ciotti s’est “réjoui” sur twitter de la décision de l’exécutif. “Il nous sera difficile de ne pas voter cette révision constitutionnelle”, confiait toutefois à l’AFP un haut responsable de la majorité sénatoriale.
Mais la droite devrait continuer à mettre la pression sur l’exécutif en concentrant ses attaques sur Mme Taubira. La garde des Sceaux “n’est plus en toute logique en mesure de porter cette réforme constitutionnelle”, a prévenu le numéro trois des Républicains, Eric Woerth.
“Pour nous, c’est un préalable, pas de discussion tant que Mme Taubira est garde des Sceaux”, a renchéri le député (LR) de Paris Claude Goasguen.
L’exécutif considère lui que la page est tournée après le faux pas de la ministre, qui n’en est pas à sa première incartade. Christiane Taubira “s’est exprimée de façon extrêmement claire et digne maintenant on avance”, considère ainsi un conseiller du président.