Le Premier ministre ira lundi à Berlin pour rencontrer la Chancelière. Il risque de constater que sa stratégie influe peu sur la politique allemande. Mais l’inverse n’est pas vrai.
Lundi, Manuel Valls se rendra à Berlin pour y rencontrer Angela Merkel. Pour quoi faire ? La position du Premier ministre vis-à-vis de son partenaire allemand est fort ambiguë. Car le Premier ministre français a assis sa légitimité sur l’idée qu’il fallait renforcer le dialogue avec le gouvernement d’Angela Merkel. C’est le sens de la révolution de palais du 25 août au cours de laquelle Arnaud Montebourg a été limogé, principalement en raison de son agressivité à l’encontre de Berlin. Le Premier ministre avait alors expliqué qu’il ne fallait pas « prendre de front » l’Allemagne. Le nouveau gouvernement Valls II apparaissait alors, à juste titre, comme un gage donné à la chancelière de la volonté française de « faire des réformes. »
Dire autrement les éléments de langage d’Arnaud Montebourg
Mais, parallèlement, Manuel Valls, tout en se débarrassant du personnage, a repris plusieurs « éléments de langage » d’Arnaud Montebourg, à commencer par l’exigence d’une relance allemande pour soutenir la demande en France et en Europe. La position du gouvernement français est celle du donnant-donnant : des réformes contre une relance. C’est sans doute le message que Manuel Valls va tenter de faire passer ce lundi dans la capitale allemande. Il insistera sur la « crédibilité » de la volonté de réformes française, incarnée par son nouveau gouvernement, et viendra, en quelque sorte, demander le prix de cette bonne disposition à la chancelière.
L’Allemagne ne veut rien céder
Cette politique risque de se solder par un échec cuisant. L’Allemagne d’Angela Merkel est désormais décidée à ne rien céder et l’a fait savoir. Mercredi, le ministère fédéral des Finances a clairement indiqué en réponse à Manuel Valls que « toutes les critiques concernant la politique budgétaire allemande sont vaines. » Autrement dit, il ne faut rien attendre de ce côté. Le budget fédéral 2015 est bouclé et Wolfgang Schäuble ne renoncera pas à son objectif d’un budget équilibré pour les cinq prochaines années pour faire plaisir à Manuel Valls. Berlin veut absolument réduire sa dette publique avant le choc démographique prévu dans les années 2020.
Rien, du reste, dans le comportement du gouvernement allemand ne laisse penser qu’il puisse y avoir une inflexion. Certes, Berlin et Paris ont lancé ensemble une « initiative pour la croissance. » Mais le contenu de cette initiative est faible et se calque sur le plan Juncker de 300 milliards d’euros. Lequel sera annoncé d’ici à la fin de l’année, mais s’appuiera surtout pour attirer les investissements privés sur des investissements… privés. C’est pourquoi il est toléré par Berlin.
L’Allemagne refuse l’aléa moral
En réalité, la stratégie de Manuel Valls est vouée à l’échec pour deux raisons. La première, c’est l’obsession allemande de « l’aléa moral. » Du point de vue allemand, rien n’est plus nuisible à la réforme que la relance. En soutenant les pays en difficulté, on leur ôte les « incitations » à se réformer. Or, en raison de la politique de la BCE et de son programme OMT de rachat illimité de titres souverains, l’incitation des taux a déjà disparu et les spreads se sont considérablement réduits. Si l’on donne une impulsion externe aux économies endettées, on réduit la pression pour accélérer le désendettement. Or, depuis la crise grecque, Berlin craint de devoir être solidaire du paiement de cette dette in fine. C’est tout le sens des propos martelés quasiment quotidiennement par Wolfgang Schäuble : « il n’y a pas de croissance saine obtenue grâce à la dette. »
Une opinion allemande francophobe
L’Allemagne est d’autant moins encline à céder sur ce point que son gouvernement doit faire face à une poussée eurosceptique préoccupante et inédite dans les urnes et dans l’opinion. Angela Merkel ne peut guère répondre à cette poussée et aux inquiétudes de son propre camp, où l’on réclame de réfléchir à une alliance avec ce parti, par une politique plus « tolérante » vis-à-vis de la France. Il est nécessaire que le gouvernement allemand montre à son opinion sa fermeté face à une France « socialiste » qui est régulièrement épinglée par les médias pour son attitude budgétaire. Jeudi, un article de la Frankfurter Allgemeine Zeitung résumait le sentiment allemand vis-à-vis de Paris en soulignant que Manuel Valls demande à l’Allemagne de prendre ses responsabilités… Enfin, le Premier ministre français ne peut guère compter sur les Sociaux-démocrates, très discrets sur une question européenne où ils ont tout à perdre dans l’opinion.
La France face à ses engagements
La stratégie choisie par Manuel Valls est donc vouée à l’échec. L’Allemagne ne relancera pas pour l’ensemble de l’Europe. Et elle réclamera cependant des « réformes » comme condition de survie de la zone euro. Angela Merkel est fort à l’aise pour imposer sa propre route à son homologue d’outre-Rhin. Elle peut s’appuyer sur l’architecture institutionnelle qu’elle a mise en place entre 2011 et 2012 : Six Pack, Two Pack, Semestre européen, pacte budgétaire. Une architecture qu’a acceptée sans broncher François Hollande. Comment peut-il demander sa remise en cause aujourd’hui ?
Qui pèse sur qui ?
Manuel Valls peut faire le matamore à la tribune de l’Assemblée nationale. Il ne dispose guère de leviers pour peser sur Berlin, sauf à jouer sur la peur d’un effondrement de l’économie française et de l’arrivée au pouvoir du Front national qui n’émeut peu une chancelière pour qui les réformes sont des solutions à tout. Paris et Rome s’entendent fort mal. Les interrogations autour du sommet « pour la croissance » du 8 octobre le prouve. Impossible donc de former un axe Paris-Rome, alors même que Berlin a renforcé son alliance avec Madrid. De son côté, Berlin a les moyens de peser en rappelant à la France ses obligations européennes.
Le pacte « réformes contre relance » voulu par Manuel Valls n’est donc qu’une chimère. Le vrai pacte, c’est celui que présente Angela Merkel : des réformes contre un délai pour la consolidation budgétaire. C’est une autre réalité que celle que présente le Premier ministre à Paris. L’apaisement voulu par François Hollande le 25 mai n’aura guère porté ses fruits.