C’est une étude inquiétante pour le couple franco-allemand. L’Ifop a réalisé un sondage pour les fondations Jean Jaurès et Friedrich Ebert en interrogeant des personnes des deux côtés du Rhin sur la perception de leur pays et de l’Europe sur le plan économique (voir document ci-dessous). Et les résultats montrent que les divergences entre Français et Allemands s’accentuent. Pour preuve : huit Français sur dix ressentent pour eux ou pour leurs proches les effets de la crise, contre seulement un tiers des Allemands. Et les trois quarts des Français estiment être « encore en pleine crise » alors que les Allemands ne sont « que » 34 % à le penser. Fait encore plus marquant, le pessimisme s’accroît dans l’Hexagone alors qu’il recule de l’autre côté du Rhin. « Les Français ont l’impression d’être englués dans une crise dont ils ne voient pas le bout alors que la situation des Allemands s’est améliorée », décrypte Jérôme Fourquet, de l’Ifop.
Vision très divergente des politiques à mener
Mais cette différence dans le ressenti de la situation économique, qui s’appuie, pour une part au moins, sur la réalité, ne s’arrête pas là. Français et Allemands ont aussi une vision très divergente des politiques économiques qui devraient être menées. Ainsi, les deux tiers des Français jugent que la Banque centrale européenne (BCE) devrait avoir « pour principale mission de favoriser la croissance économique » contre seulement 39 % des Allemands. A l’inverse, 61 % de nos voisins d’outre-Rhin estiment que la BCE devrait « avoir pour principale mission de lutter contre l’inflation ».
Ensuite, « les deux peuples font preuve d’une certaine lucidité. Les Allemands ont conscience que la France s’enfonce et les Français sont persuadés que l’économie allemande décolle. Du coup, le couple franco-allemand apparaît désormais déséquilibré », selon Jérôme Fourquet. Un an après la commémoration du cinquantième anniversaire du traité de l’Elysée signé par Konrad Adenauer et Charles De Gaulle pour donner corps à l’amitié entre les deux peuples, le caractère privilégié de la relation entre les deux pays est de plus en plus remis en cause. Comme s’ils entérinaient la faiblesse de leur pays, 77 % des Français estiment désormais que l’Hexagone « doit traiter tous ses partenaires européens à égalité ». C’est 20 points de plus en quatre ans. En Allemagne aussi, le lien avec la France ne va plus de soi puisque 51 % des Allemands mettent tous leurs partenaires sur un pied d’égalité. Par rapport à 2012, l’idée selon laquelle les deux pays négocieraient d’égal à égal a reculé de 13 points en France et de 10 points en Allemagne…
« Les deux pays sont bien plus éloignés qu’avant 2008 »
Aujourd’hui, 85 % des Français considèrent qu’avec la crise de l’euro, l’Allemagne s’est affirmée comme le pays dominant en Europe. A l’inverse, outre-Rhin, seuls 38 % des Allemands jugent que l’Hexagone émerge de la crise comme un leader. Pourtant, en 2012, plus de la moitié des Allemands estimaient que la France était devenue le pays le plus puissant d’Europe. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy avait probablement laissé l’image d’un activisme des dirigeants français au plus fort de la crise et d’une bonne résistance du modèle français aux turbulences des marchés financiers.
Depuis, la tendance s’est inversée. Pour Jérôme Fourquet, « la crise a considérablement aggravé la dérive des continents. Les deux pays sont bien plus éloignés qu’avant 2008, notamment parce qu’ils ont mené des politiques économiques différentes. Si aucune initiative n’est prise rapidement pour recoller les morceaux, alors les divergences s’accentueront », prévient le directeur du département opinion de l’Ifop. Selon lui, les politiques des deux pays sont face à des responsabilités historiques.