INTERVIEW
Compagnon de route depuis 2009 puis collaborateur de l’ex-ministre de l’Economie, Valentin Przyluski demande à ce qu’on discute à gauche des choix économiques du gouvernement.
Il l’a d’abord accompagné dans sa campagne à la primaire présidentielle, puis travaillé avec lui au ministère de l’Economie. Compagnon de route d’Arnaud Montebourg depuis 2009, Valentin Przyluski revient sur le départ du ministre et insiste sur le «débat» qui doit s’ouvrir à gauche sur la politique économique menée.
Que répondez-vous à ceux qui disent qu’Arnaud Montebourg a fait cette sortie à Frangy-en-Bresse pour provoquer son départ?
Arnaud Montebourg pose depuis des mois un débat politique de fond sur l’orientation économique. Tout d’abord, il indique que l’ampleur des réformes structurelles et le transfert des ménages vers les entreprises ne sont pas compatibles avec un ajustement budgétaire aussi fort. Nos choix budgétaires et fiscaux en France ont ajouté de la crise à la crise. On a resserré trop vite. Tout le monde en est aujourd’hui conscient. La question de mieux prioriser les objectifs est donc une question légitime: la priorité doit être la croissance et l’emploi. Ensuite, il demande que la réorientation européenne issue du vote des Français en 2012 et 2014 soit mise en œuvre. Il y va de la crédibilité du politique élu au suffrage universel.
Ce débat ne devait-il pas rester en privé ?
Ce qu’Arnaud Montebourg prédit en privé au président de la République et au gouvernement est en train de se produire. Nous entrons en déflation. Or les mesures prises par le gouvernement sont procycliques et à contretemps ! Au vu de la situation économique, il y avait une clarification publique à faire: est-ce l’emploi la vraie priorité ? Jamais un pays dans une situation de déflation n’a remboursé sa dette. Il est important que les Francais sachent que ce débat a lieu en France, et qu’il est légitime comme l’a rappelé Paul Krugman ces trois derniers jours dans les colonnes du New York Times.
Pourquoi avoir décidé de rendre ce débat public au risque de sortir du gouvernement ?
Il fallait, après l’avoir fait sans succès dans les enceintes consacrées, lancer le débat dans l’opinion et que les choix soient publiquement faits: oui ou non les «trois tiers» d’Arnaud Montebourg sont-ils acceptables ? Nous sommes pour le pacte de compétitivité et pas contre les économies de dépense. Mais nous considérons que la question qui se pose est celle du rythme d’ajustement. Le déséquilibre entre les efforts demandés aux ménages et aux entreprises et le resserrement budgétaire produisent l’effet récessif constaté. Pourquoi le président de la République et le Premier ministre ont-ils fait ces choix? Quand on observe l’offensive sémantique de ces derniers jours, il est à craindre que les socialistes, au nom d’un légitimisme, se retrouvent engagés sur une ligne qui n’est pas la leur. Qui n’a jamais été décidée dans un congrès du parti ou votée lors de la primaire.
C’est-à-dire?
Certains en France souhaiteraient profiter de la conjoncture de la zone euro pour constater un échec économique structurel de la France. Ce sont ceux qui – même à gauche – expliquent que «la France est en faillite» et «l’Etat impotent». Pour ces gens-là, il ne faudrait pas que la croissance et l’emploi repartent trop vite pour pouvoir enfin réformer la France à la baguette. C’est la France des slogans. Pas des projets collectifs. Oui, la France a besoin de se moderniser. Mais les réformes doivent se faire en prévoyant les moyens d’adaptation à ces réformes. Il faut se donner les moyens de réformer ! Réformer le modèle social se fait avec des objectifs et des choix de société. Et être social-démocrate, c’est aussi en passer par le dialogue social, fort de ses convictions.
Comment observez-vous l’arrivée d’Emmanuel Macron ?
Je constate qu’un autre banquier de gauche, Mathieu Pigasse, conteste les politiques d’austérité… La polémique sur sa profession est donc peu probante de ce point de vue. Mais au-delà de la personne d’Emmanuel Macron qui est quelqu’un de compétent, nous sommes satisfaits de voir le ministère rester entier. Arnaud Montebourg a donné naissance au ministère de l’Economie réelle à Bercy. A un contre-pouvoir. Séparer les Finances et l’Economie c’était extrêmement important pour permettre de confronter des points de vue qui ne sont pas forcément alignés entre les forces productives et les intérêts financiers.