Avec une poignée d’habitants désespérés et indignés, Raïssa, 78 ans, tente de survivre dans le quartier Oktiabrski, à quelques encablures du front de l’aéroport de Donetsk: “J’ai connu la deuxième guerre mondiale mais ce qu’on vit en ce moment, c’est pire”, assure-t-elle.
Les derniers combats entre l’armée ukrainienne et les forces séparatistes prorusses se déroulent à moins de deux kilomètres de chez eux. Par choix ou contraints, ils les subissent.
Raïssa Golovichkina, petite dame de 78 ans enveloppée dans une robe noire et une poussiéreuse veste sans manche, ne sait pas combien de fois sa petite maison et son jardin ont été touchés. “La dernière fois, c’était mercredi”, dit-elle en montrant un petit cratère au milieu de son carré de terre retournée, jonché de branches d’arbre.
“Depuis le 26 mai, on est sous le feu. Quand on a vu arriver les avions, les hélicos, les bombes, les Grad (roquettes), on a cru que c’était la fin”, ajoute-t-elle, en réajustant ses cheveux gris sous son fichu.
Elle a quitté sa maison bordée de fleurs mauves, rare halo de couleur dans ce quartier en ruines, pour trouver refuge chez son voisin Alexandre de l’autre côté de la rue.
Les pavés de la petite rue Kroupskoï laissent régulièrement place à des trous de roquettes. Aucune maison de la rue n’a été épargnée. Ici, un toit éventré, là un mur d’enceinte réduit en miettes…
Robert Grigorian, 58 ans, a vu le portail en fer de sa maison projeté sur le mur d’en face par un tir de roquette lundi. Il empile dans sa vieille Volga au pare-choc rongé par la rouille “tout ce qui peut brûler”, essentiellement des vêtements. Il va les mettre à l’abri, dans un endroit qu’il ne veut pas révéler.
Sa femme, sa fille et sa petite-fille sont en sécurité dans un village voisin depuis plusieurs semaines. Lui a choisi de rester pour “protéger (sa) maison”. Malgré les combats qui ont redoublé ces derniers jours, il y restera avec ses deux chiens: “Cette maison, je l’ai construite de mes mains. Je l’ai finie il y a un an et demi”.
– “Les deux camps sont coupables ” –
Il ramasse des fragments de roquettes et pointe les impacts qui ont criblé le bâtiment jusqu’à l’étage. Le quartier a été repris par les forces séparatistes pro-russes la semaine dernière.
Mais “les deux camps (ukrainien et séparatiste) sont coupables de tout ce qui nous arrive”, s’emporte Raïssa. Je me fous de savoir qui a abîmé ma maison. Ils n’ont pas le droit de faire ça. On n’est pas des terroristes! On a travaillé toute notre vie et c’est ça notre retraite? Il y a deux gouvernements et depuis deux mois, aucun des deux ne nous verse plus rien”.
“Ce ne sont que des oligarques qui se battent pour l’argent”, lance Anatoli Kiriak, un voisin.
Cet homme de 46 ans vit avec sa femme Elena dans ce qui reste de leur maison, à laquelle il accède par les ruines de celle de son voisin qui a quitté les lieux.
Le 29 juin, le couple voulait lui aussi partir, en Crimée, “mais les bombardements ont abîmé la voiture et on n’a pas pu”. “Nous étions 5.000 dans le quartier. Aujourd’hui, nous ne sommes plus qu’une vingtaine”, estime-t-il.
Comme leurs rares voisins, ils cuisinent à ciel ouvert avec un réchaud bricolé de bouts de ferraille. Les volutes de fumée qui s’élèvent des décombres trahissent des présences humaines insoupçonnées de la rue.
Quelques centaines de mètres plus loin, trois chars des forces séparatistes bouclent le quartier. Quelques soldats prorusses patrouillent paisiblement dans la rue adjacente.
Un petit chat traverse devant eux, saute un mur. Accrochés à une treille, des raisins rouges gorgés du soleil de septembre qui irradie l’est de l’Ukraine. Mais personne n’est là pour les cueillir.