L’inculpation pour “fraude” d’une militante russe qui avait publié une liste de soldats russes tués, selon elle, au combat dans l’est de l’Ukraine alors que Moscou dément toute implication, a déclenché une vague de protestations parmi les défenseurs des droits de l’homme.
Lioudmila Bogatenkova, 73 ans, a été arrêtée ce week-end à Boudionnovsk, dans la région de Stavropol, et inculpée pour “fraude à grande échelle”. Ses déboires judiciaires sont considérés par les défenseurs des droits de l’homme comme une mesure punitive contre le travail qu’elle a accompli à la tête d’une ONG chargée de la défense des droits des soldats dans la région de Stavropol (sud).
“C’est un acte d’intimidation” contre la militante qui a défié les autorités russes, en dressant la liste de soldats russes morts au combat en Ukraine, a déclaré à l’AFP un membre du Conseil pour les droits de l’homme auprès du Kremlin, Sergueï Krivov.
Moscou a toujours démenti toute implication dans le conflit entre rebelles prorusses et armée ukrainienne qui ravage l’Est du pays depuis plus de six mois, tandis que Kiev et les Occidentaux l’accusent de fournir armes et combattants aux insurgés, mais également d’y faire intervenir ses troupes régulières.
En août, une dizaine de parachutistes russes avaient été arrêtés par les troupes ukrainiennes dans l’est du pays, où ils s’étaient retrouvés, selon le président russe Vladimir Poutine, “par accident” au cours d’une patrouille.
Dans les mois qui ont suivi, des récits de funérailles secrètes de soldats tués au combat dans le Donbass se sont multipliés dans la presse russe.
Les défenseurs des droits de l’homme déplorent que leurs demandes d’enquêter sur ces informations rapportant l’arrivée en Russie de dépouilles de soldats morts au combat, “cargo-200″ en jargon militaire, soient ignorées par les autorités.
– La militante relâchée –
Mme Bogatenkova, qui souffre de diabète et nécessite des injections quotidiennes d’insuline, a finalement été relâchée lundi sous la pression apparente des défenseurs des droits de l’homme, parmi lesquels le président du Conseil pour les droits de l’homme auprès du Kremlin, Mikhaïl Fedotov.
La militante, qui enquêtait activement sur la présence de ces soldats russes en Ukraine, a été arrêtée ce week-end et son domicile a fait l’objet d’une perquisition, selon ses collègues.
“Nous voudrions comprendre de quoi elle est accusée, à quel point ces accusations sont graves et si ce n’est pas lié à ses activités de défenseur des droits de l’homme”, a déclaré à l’AFP M. Fedotov.
La liste de noms de soldats morts au combat établie par la militante a quant à elle été directement transmise à Vladimir Poutine la semaine dernière face au refus des enquêteurs d’ouvrir une enquête criminelle, selon Sergueï Krivov.
La police régionale et les enquêteurs se sont refusés pour l’instant à tout commentaire sur l’accusation, floue, de “fraude à grande échelle”, pour laquelle elle encourt jusqu’à six ans de prison.
L’avocat de Mme Bogatenkova, Andreï Sabinine, a de son côté confirmé à l’AFP que la militante se trouvait chez elle à Boudionnovsk.
– Omerta –
La presse indépendante russe a abondamment commenté l’arrestation de la militante, s’indignant du traitement réservé aux soldats tués en Ukraine. “En tant que société, nous devrions trouver une forme d’adieu plus digne à ceux qui ont été fauchés par cette guerre, en nous rappelant qu’ils ne sont tous que des victimes”, écrit le journal Novaïa Gazeta.
“Un soldat tombé doit rester anonyme : c’est ce sur quoi insiste l’Etat”, abonde le quotidien Vedomosti. “Puisque la guerre n’a pas été déclarée, la réponse de l’Etat aux questions que se pose la société concernant les militaires morts est non officielle”, sous la forme d’arrestations et de passages à tabac.
Fin août, un député régional russe, Lev Chlosberg, avait été agressé et hospitalisé avec une blessure à la tête après avoir assisté aux funérailles secrètes de soldats russes tués, selon le parti d’opposition Iabloko dont il fait partie, en Ukraine.
En septembre, des journalistes de la BBC qui enquêtaient sur ces funérailles secrètes avaient été à leur tour agressés dans le sud de la Russie.