Les craintes montent aux Etats-Unis face à la mise en place de barrières commerciales parfois vues comme du “protectionnisme numérique”, destiné à freiner l’expansion internationale des poids lourds technologiques américains.
La Chine est depuis longtemps un marché difficile pour les entreprises américaines, mais les tensions sont également croissantes avec l’Union européenne: les contentieux s’y multiplient avec Google, Facebook et autres Uber autour de sujets comme la protection des données privées, la concurrence ou la fiscalité par exemple.
Au début du mois, la justice européenne a déclaré invalide le régime dit “Safe Harbour”, qui permettait depuis quinze ans aux entreprises américaines de transférer des données de citoyens européens vers leurs serveurs aux Etats-Unis. La secrétaire américaine au Commerce, Penny Pritzker, n’avait pas caché sa déception, évoquant “une incertitude importante pour les entreprises et les consommateurs” des deux côtés de l’Atlantique.
L’UE cherche aussi à mettre en place un “marché unique du numérique” à l’intérieur des frontières européennes, mais le projet contient des propositions de régulations pour les plateformes en ligne que certains voient comme une attaque contre des commerçants américains comme Amazon ou des représentants du secteur de l'”économie partagée” comme Air nb.
“Personne n’a défini ce qu’était une plateforme”, indique à l’AFP Ed Black, président de l’association américaine du secteur technologique CCIA. Pour lui, “cela ressemble à une proposition pour régler un problème qui n’existe pas”, avec “le potentiel de créer des difficultés”.
– Courant de peur –
Daniel Castro, vice-président de l’Information Technologies and Innovation Fondation, un centre de réflexion basé à Washington, dit déceler “des courants sous-jacents de peur” en Europe face à la popularité de services offerts par des acteurs comme Google ou Facebook.
Une autre source de friction est l’application du “droit à l’oubli”, permettant aux citoyens européens de demander que les résultats de recherches en ligne ne fassent plus apparaître certains contenus les concernant. La France veut forcer Google à l’appliquer à l’échelle mondiale, mais certaines entreprises américaines y voient une forme de censure.
“Imposer des régulations de style européen aux Etats-Unis ne serait bon ni pour les Etats-Unis, ni pour l’Europe”, estime Daniel Castro.
Même le président Barack Obama s’est inquiété, dans une interview plus tôt cette année avec le site spécialisé Re/Code. “Nous avons possédé internet. Nos entreprises l’ont créé, l’ont étendu, l’ont perfectionné”, a-t-il répondu à une question sur les mesures prises en Europe. “Et parfois ce que l’on décrit comme de nobles positions de principe n’est conçu que pour assurer une place à certains de leurs intérêts commerciaux.”
L’Europe se rend compte qu’elle est en retard et “cherche à construire sa propre économie numérique en compliquant l’activité des entreprises étrangères sur le sol européen. En ce sens, c’est du protectionnisme”, dénonce Kati Suomi Nen du Center for Strategic and International Studies, un autre centre de réflexion américain.
Le commissaire européen chargé du numérique, Günther Oettinger, avait rejeté ces accusations de protectionnisme lors d’une visite le mois dernier dans la Silicon Valley. “Nos règles au niveau européen valent pour tout le monde, pour les producteurs et acteurs européens, pour les acteurs asiatiques, et pour les acteurs américains aussi”, avait-il assuré.
– L’effet Snowden –
Google multiplie les contentieux en Europe, où l’une des procédures les plus en vue est une enquête pour abus de position dominante qui dure depuis des années.
Facebook lui se heurte surtout aux règlementations européennes sur la protection de la vie privée: la justice irlandaise vient encore d’ordonner une enquête sur la manière dont il renvoie certaines données privées de citoyens européens vers les Etats-Unis.
Un élément central des contentieux transatlantiques sur la protection de la vie privée est la peur, alimentée par les révélations d’Edward Snowden, que les sociétés internet américaines ne laissent les services de renseignement américains accéder à leurs données.
Les législateurs américains veulent répondre à cette inquiétude avec une loi permettant à des non-citoyens américains d’appliquer leur droit à la protection de la vie privée devant des tribunaux américains (“Privacy Act”
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Cela pourrait contribuer à “réparer l’image ternie de l’Amérique sur la protection des données”, reconnaît Berin Szoka, président du groupe de lobbying TechFreedom. Il relève que l’échec de Washington à s’attaquer au problème “a provoqué une crise internationale, qui pourrait conduire au blocus par l’Europe des entreprises internet américaines”.